« À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. Il raconte l’histoire d’un narrateur lettré devenu ouvrier intérimaire qui doit embaucher dans les usines de poissons et les abattoirs de Bretagne. À la ligne est surtout un chant, une manière d’épopée. Par la magie d’une écriture simple et somptueuse, tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient ici une Odyssée avec un Ulysse qui combat des tonnes de bulots cyclopéens ou des carcasses de boeufs promises à l’équarrissage. On est saisi d’emblée, à la lecture de cette prose scandée, de ces versets hypnotiques, par cette voix d’homme qui est capable de raconter avec une infinie précision les gestes du travail, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps épuisé. Mais il sait le faire, toujours, en multipliant les registres, tour à tour avec colère, humour, rage et amour. Il inventorie ainsi tout ce qui donne l’envie qu’une journée de travail se termine au plus vite. Et la transformer en texte que ce narrateur écrit comme un journal de guerre ou un livres d’heures avec ses psaumes, ses actions de grâces, ses prières pour les morts.
Aller à la ligne, c’est aussi se reposer dans les blancs du texte où l’on retrouvera la femme aimée, le chien Pok Pok, la lecture des auteurs et poètes, le bonheur dominical, l’odeur de la mer. À la ligne est une revanche lyrique, un moyen de dépasser le quotidien en continuant à se souvenir, dans le bruit de l’usine et les odeurs du travail, des poètes qu’il a aimés, des écrivains qui ont baigné son enfance, son adolescence et son âge d’homme. Et ce qui est répétition devient à chaque fois unique : pendant le travail, avec les gestes machinaux, les souvenirs reviennent. Le narrateur a eu une autre vie : il se souvient de ses cours de latin, il a été mousquetaire avec Dumas, amoureux de Lou et Madeleine avec Apollinaire, nostalgique et joyeux avec les chansons de Trenet, combattant avec Marx. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène, tout ce qui pourrait empêcher son paradoxal et invincible bonheur d’être au monde, dans l’épouvante industrielle.
Si À la ligne s’inscrit dans une tradition qui est celle de la littérature prolétarienne, de Henry Poulaille à Robert Linhardt, en passant par Georges Navel, Joseph Ponthus la renouvelle ici de fond en comble en lui donnant une dimension poétique qui est l’autre nom de cette espérance de changer la vie, comme le voulait Rimbaud. »
En partenariat avec l’association Les Nouvelles Hybrides