Avec Jacques Dallest, magistrat, ancien Procureur de la République à Marseille, actuellement Procureur général à Grenoble, suivi d’un échange avec Natacha Polony, journaliste, essayiste, directrice de la rédaction du magazine Marianne.
» Dans l’imaginaire commun, le criminel se doit d’être différent. Monstrueux, il n’est pas de notre monde. Sa figure le rejette dans l’au-delà. Il ne saurait appartenir à la communauté des hommes. S’il a tué, c’est qu’il ne nous ressemble pas « , écrivais-je dans mon récit sur l’homicide. L’horreur du crime suscite la répulsion et le rejet de son auteur. Quelle n’est pas la surprise des jurés lorsqu’ils voient prendre place dans le box un frêle jeune homme accusé d’un meurtre sordide ? Ils imaginaient un visage inquiétant. Ils ont face à eux une figure banale, désespérément normale. Cette normalité les met mal à l’aise. L’accusé est le miroir qui renvoie leur propre image. Ses traits ordinaires sont les leurs. Et pourtant, eux, ils n’ont pas tué !
Loin du criminel-né couturé des stigmates du crime, l’assassin est ce personnage sans relief qui a basculé dans l’indicible. Il a mis en acte la pulsion meurtrière qui nous anime, cette tentation du pire qui nous ravit tout en nous effrayant. Amère pensée : nous pouvons donner la mort délibérément, consciemment, froidement ! Si le tueur en série plaît tant, c’est qu’il s’autorise ce dont nous ne sommes pas capable : la réitération homicide. Oter la vie est à notre portée, dans un moment de colère, par vengeance ou jalousie. Mais répéter le meurtre est au-delà de nos forces. Quel regard doit-on porter sur le crime ? Un des beaux-arts vraiment ? comme le dirait Quincey, en forme de provocation amusée. Ou tout simplement, une atteinte grave à l’ordre social ? L’acte ultime qui a remplacé les mots impossibles ? La négation de l’autre ? Exercer l’étrange métier de juge d’instruction, cet inquisiteur des âmes, et de procureur de la république, ce froid accusateur , amène à une sérénité apaisante. Marcher sur les chemins escarpés du crime ou s’aventurer dans les cavernes humaines les plus obscures conduit à une forme de détachement bienvenu. Cet assassin qui révulse garde sa part d’humanité malgré son crime, si atroce soit-il. Je le sais : je l’ai rencontré.
Entrée libre – Réservation conseillée à resa.popphilo@gmail.com
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